Décarbonation, relocalisation, diversification… Le président de Ratier-Figeac, Jean-François Chanut, revient sur les ambitions du groupe pour L’Usine Nouvelle, dans le cadre de l’inauguration du nouveau centre d’excellence pour hélices d’avion dans le Lot.

Entre les nouvelles sources d’énergie et les nouveaux aéronefs dédiés à la mobilité urbaine, le patron de Ratier-Figeac, Jean-François Chanut, croit au potentiel des hélices.

Ratier-Figeac plie, mais ne rompt pas. Grâce à son positionnement à cheval entre le civil et le militaire, le groupe appartenant à l’américain Collins Aerospace (groupe Raytheon Technologies) a traversé la crise sans trop de casse. Il a inauguré vendredi 29 octobre son nouveau centre d’excellence dédié aux hélices d’avions de nouvelle génération, sur son site de Figeac (Lot). Un investissement de 32 millions d’euros décidé en 2019 et maintenu malgré la crise du transport aérien.

Pour autant, l’hélicier fournisseur de l’Airbus A400M et des avions régionaux d’ATR a connu cette année un trou d’air. Le chiffre d’affaires de la division Propeller Systems de Collins Aerospace, comprenant Ratier-Figeac, mais aussi un site au Maroc et aux Etats-Unis, est passé de 530 millions de dollars (456 millions de d’euros) en 2019 à 430 millions de dollars (370 millions d’euros) en 2020. Son effectif a été réduit d’une centaine de personnes. Ratier-Figeac emploie désormais 1 250 salariés.

L’Usine Nouvelle. – Comment Ratier-Figeac a-t-il traversé la crise ?

Jean-François Chanut. – L’entreprise a été très touchée, mais a pu traverser la crise mieux que beaucoup d’autres. Nous n’avons pas eu à déployer de plan social ni à contracter de Prêt garanti par l’Etat. Nous avons malgré tout réduit nos effectifs de moins d’une centaine de personnes grâce à l’arrêt de l’intérim, au non-renouvellement des CDD et à des départs volontaires. La baisse de l’activité, inégale selon nos produits, a pu être absorbée surtout par le recours à l’activité partielle de longue durée.

L’une des raisons de cette bonne résistance, c’est notre forte présence dans le domaine militaire. Nous sommes présents autour de trois programmes qui ont généré des volumes importants pendant cette période de crise et vont se maintenir pendant encore plusieurs années. Cette particularité, combinée à l’engagement des collaborateurs qui ont accepté de se former et de changer de ligne de produits pour rejoindre cette activité militaire en croissance, a été un élément clé de stabilité.

De quels programmes s’agit-il ?

Nous avons maintenu une activité militaire importante, amortissant ainsi considérablement la chute brutale de l’activité aéronautique civile.

Jean-François Chanut

D’abord, Ratier-Figeac fournit les hélices de l’A400M, qui doivent subir une inspection majeure tous les sept ans environ. Or, nous sommes entrés fin 2019 dans cette phase de révision générale pour les premiers appareils, livrés en 2013. Cela représente un volume d’une quarantaine d’avions sur une durée de trois à quatre ans. Les deux autres programmes concernent les Lockheed C-130H, que Collins Aerospace équipe de nos hélices métalliques depuis les années 60.

D’une part, nous faisons face depuis quelques années à une demande de rechanges particulièrement élevée, et avons décidé d’augmenter nos cadences de production. D’autre part, nous avions développé récemment une nouvelle génération d’hélices composites plus performantes, la NP2000. Aux Etats-Unis, l’US Navy et à l’US Air Force, la Garde Nationale, ont entamé vers 2018 un programme de rétrofit pour remplacer les hélices sur plus de 160 appareils avec cette NP2000, qui rend les opérations plus performantes et moins coûteuses. Ces trois programmes nous ont permis de maintenir une activité militaire importante, amortissant ainsi considérablement la chute brutale de l’activité aéronautique civile.

Dans le civil, dans quelle mesure Ratier-Figeac pourrait-il profiter de la transformation actuelle du secteur ?

Je suis persuadé qu’à l’avenir la propulsion par hélices va être plébiscitée. C’est de loin le moyen propulsif le plus efficace : à puissance donnée, on peut décoller sur des pistes plus courtes ou moins préparées. C’est le moyen le plus intéressant pour des opérations militaires. On le voit avec l’A400M et les C130H. Mais aussi pour l’aviation régionale, connectant des régions éloignées des mégalopoles, et développant ainsi le tourisme et l’économie des territoires partout dans le monde. Les turbopropulseurs, comme les avions d’ATR par exemple, ont beaucoup évolué ces dernières décennies, grâce à l’amélioration des systèmes et en particulier des hélices.

Les hélices d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec celles d’hier. Par exemple, les avions ATR sont équipés aujourd’hui d’hélices à six pales, qui ont un aérodynamisme optimisé. Leur design, issu de modèles numériques, a amélioré non seulement leur efficacité, donc la consommation et le bilan carbone, mais aussi le bruit et les vibrations, rendant l’avion plus discret et confortable. Avec le besoin de développement économique territorial, combiné à un souci croissant de l’impact environnemental tout à fait légitime, les avions à hélices, petits ou grands, devraient avoir de beaux jours devant eux.

Vous positionnez-vous sur le projet d’avion à hydrogène d’Airbus ?

Concernant l’hydrogène, nous comptons proposer des systèmes hélices adaptés.

Jean-François Chanut

Le recours à de nouvelles sources d’énergie pourrait nécessiter de nouvelles configurations d’avions, parmi lesquelles des avions à hélices avec une motorisation différente. Que les moteurs utilisent une énergie électrique, des carburants aériens durables ou de l’hydrogène, nous proposons des briques technologiques compatibles avec notre métier d’hélicier.

Concernant spécifiquement l’hydrogène : oui, cela fait partie des nouveautés que nous suivons de près et pour lesquelles nous comptons proposer des systèmes hélices adaptés. C’est une période très intéressante où l’innovation est nécessaire. Nous avons anticipé cette activité avant la crise de la Covid et tenons à continuer d’avancer dans cette direction.

Vous avez décidé de maintenir l’investissement de 32 millions d’euros sur le site de Figeac, en vue de créer un centre d’excellence des hélices d’avion. Cela vous conduira-t-il à réembaucher ?

Oui. Nous avions prévu plus de 100 embauches avant la crise. Nous avons ralenti à cause de la Covid. Mais les embauches ont repris depuis l’été et nous devrions retrouver le niveau d’effectif prévu avec une pente plus faible. L’essentiel est d’être synchronisé avec les besoins des programmes futurs.

Ratier-Figeac a également obtenu une aide dans le cadre de France Relance. De quoi s’agit-il ?

Nous avons d’abord eu le soutien de la Région Occitanie et du Grand Figeac dès le lancement du projet de centre d’excellence avant la crise. Dans le cadre du Plan de Relance, nous avons signé cet été un accord de soutien avec la DGAC à hauteur de 6,5 millions d’euros sur deux ans, correspondant à un budget total supérieur à 13 millions d’euros. Ceci concerne les briques technologiques dont on a parlé plus haut.

Nous allons réindustrialiser et intégrer chez nous certaines pièces complexes jusque-là importées depuis l’étranger.

Jean-François Chanut

Dans le domaine industriel cette fois, deux autres projets font aussi l’objet de soutien du Plan de Relance. D’une part, nous allons réindustrialiser et intégrer chez nous certaines pièces complexes jusque-là importées depuis l’étranger, comme un corps de pompe ou un tube de transfert. Nous contrôlerons ainsi bien mieux les performances opérationnelles de production et logistique. Nous réfléchissions déjà à ce transfert depuis plusieurs années et l’initiative France Relance a fait pencher la balance. A terme, ce projet pourrait concerner jusqu’à 40 emplois.

D’autre part, nous avons modifié une partie de notre chaîne de traitement de surface pour satisfaire aux exigences européennes du règlement Reach. Pour ces deux projets, France Relance nous soutient à hauteur de 1,8 million d’euros, sur une enveloppe globale de 8 millions d’euros.

Cherchez-vous à vous diversifier davantage ?

Nous sommes attentifs au nouveau segment de la mobilité aérienne urbaine, en particulier les appareils à décollage et atterrissage vertical, qui pourraient générer de nouveaux besoins. Au-delà des hélices, Collins à Figeac – spécialiste mondial des équipements de cockpit, en particulier des minimanches, manettes de gaz et pédaliers –, compte aussi continuer d’innover.

Nous développons par exemple des équipements de pilotage qui génèrent des retours visuels et tactiles aux pilotes pour qu’ils prennent mieux conscience des actions en cours dans le poste de pilotage, pour améliorer la sécurité de vol. Nous investissons dans les équipements liés aux avions plus électriques et plus autonomes, autrement dit dans les technologies actives des cockpits futurs à équipage réduit.

https://www.usinenouvelle.com/article/a-l-avenir-la-propulsion-par-helices-va-etre-plebiscitee-assure-jean-francois-chanut-president-de-ratier-figeac.N1154127

Propos recueillis par Olivier James – L’Usine Nouvelle – Le 29 Octobre 2021 –